LA REORGANISATION NEURO-FONCTIONNELLE
Beatriz Padovan est brésilienne. Dans les années 1970, elle a été professeur à l'école Rudolf Steiner de Sao Paulo. Ce fut dans cette période d'enseignement, qu'elle rencontra des enfants ayant des difficultés de tous ordres : difficultés d'apprentissage, de mémorisation, d'écriture, de compréhension, mais aussi des difficultés de comportement, de relation aux autres. Souvent, Beatriz consacrait du temps à ces enfants-Ià , en dehors du temps scolaire, réinventant des histoires, imaginant d'autres manières d'expliquer. Malgré ce qu'elle appelait « la meilleure pédagogie du monde », malgré tout le génie pédagogique personnel qu'elle pouvait mettre en oeuvre, malgré tout l'amour des enfants dont elle était capable, les difficultés persistaient. Beatriz faisait l'expérience de la limite entre la pédagogie et la thérapie. Elle quitta donc l'école pour faire une formation d'orthophoniste. Puis elle pratiqua l'orthophonie en cabinet. Devant la récidive de certaines difficultés après des séances d'orthophonie traditionnelle, elle voulu chercher plus loin. Ce fut une conférence de R. Steiner intitulée « Marcher Parler Penser » qui la mit sur la voie. Dans cette conférence. R. Steiner décrit ces 3 étapes des trois premières années de la vie comme essentielles pour toute la vie de chaque être humain ; mais surtout il mentionne leur inter-relation : l'étape du «marcher» prépare l'étape du « parler » et l'étape du « parler » prépare l'étape du « penser ».
En orthophonie traditionnelle, Beatriz prit conscience qu'elle rééduquait les difficultés de langage par des exercices liés au langage. Si cela améliorait certaines déviances, beaucoup d'autres persistaient, comme si seul le symptôme était soigné sans atteindre la cause.
Beatriz décida alors de se pencher sur l'étape qui précède la parole selon R. Steiner : l'apprentissage de la marche.
C'est là qu'elle rencontra les travaux d'un neuro-chirurgien américain Temple Fay. Celui-ci avait fait un tour du monde avec une caméra pour observer les différentes phases de l'apprentissage de la marche chez les enfants de différents pays. Il observa alors que tous les enfants du monde parcouraient les mêmes étapes, avaient les mêmes mouvements de base pour cet apprentissage. Seuls des principes d'éducation restrictifs ou des obstacles internes à l'enfant (handicap) empêchaient certains enfants de vivre ces étapes. Temple Fay répertoria cette succession de patterns de base en les reliant avec la notion de « maturation neurologique ».
En effet les 10 dernières années de recherche scientifique ont mis en évidence que notre système nerveux n'est pas achevé à la naissance. Les cellules étant là, tout le réseau de communication entre elles est intimement lié aux stimulations sensorielles et affectives qui vont permettre ou non, la création de connections entre elles. Ces données scientifiques viennent confirmer ce que R. Steiner disait aux pédagogues au début du siècle. Chaque Jardinière d'enfants sait, entre autre, que les organes des sens sont inachevés chez le tout petit enfant, et que c'est en fonction de ce que l'oreille perçoit que celle-ci achève de se former, en fonction de ce que l'oeil voit, qu'il se mature.
Temple Fay apporta un éclairage sur la maturation neurologique liée au développement du mouvement chez le petit enfant. Il décrivit comment, partant de l'horizontal du berceau et allant vers la verticale de l'adulte, en passant par le « rouler » « ramper » « marcher à 4 pattes », l'enfant mature son système nerveux en partant des circuits les plus inconscients (moelle épinière, cervelet) pour aller jusqu'au cortex, qui permet la pensée consciente.
Beatriz Padovan, à partir de ces observations scientifiques y ajouta son génie de pédagogue. Elle proposa dans une seule séance, une récapitulation de ces mouvements de base. Elle y apporta le rythme, thérapeutique par excellence, en accompagnant chaque mouvement par des poèmes, des comptines ou des chansons. A cette récapitulation des mouvements de tout le corps elle adjoignit ce qui fût sa propre recherche à partir de la maturation des fonctions de la bouche : pour parler, nous utilisons la même neuro-musculature que pour manger et respirer. L'étape du parler sera donc améliorée également par cette récapitulation des mouvements premiers de la bouche ; succion, mastication, déglutition et respiration. Ces fonctions appartiennent aussi à des circuits situés en-dessous du niveau de la conscience et seront accompagnés de poésies et rythmes. Toute cette « réorganisation » se complète par une récapitulation du développement de la main et de l'oeil. Par les poèmes et comptines, le sens de l'ouïe est aussi stimulé.
L'une des surprises que rencontra Beatriz Padovan et les praticiens de sa méthode fut de s'apercevoir qu'avec ce travail, non seulement le langage était amélioré, mais aussi d'autres éléments inattendus. Les parents observent : « il ne fait plus pipi au lit ; il est moins agressif ; il est plus présent à ce qui l'entoure ; il écrit mieux (alors qu'on ne fait pas de pages d'écriture) ; il devient gai ; il s'organise mieux dans son travail ; il s'oriente plus facilement pour aller en ville ; ...».
Toutes ces adaptations à la vie « quotidienne » faisaient souvent défaut, mais on n'en parlait pas parce que moins visibles qu'une inversion de lettre ou qu'un défaut de prononciation. Toutes sont liées au processus de maturation neurologique. Elle deviennent efficientes dès que le système nerveux reçoit des stimulations adéquates.
En proposant une récapitulation des mouvements du début de la vie, nous stimulons le système nerveux avant la difficulté repérée (dyslexie, instabilité comportementale, hyperactivité ou hypotonie, etc...). De ce fait, nous avons plus de chance de « balayer » la zone où l'étape de maturation a été lésée ou non stimulée. Ce qui entraîne une amélioration globale de tout l'être.
Hélène PETIT
« Plus on suivra ce que nous enseigne la nature humaine et moins nous aurons de risques de nous tromper. » B.A.E. PADOVAN.